Le portrait
Valentine Guichardaz-Versini est indépendante. Elle s’est essayée au salariat à Marseille, là où elle a été formée. Mais l’exercice s’est rapidement révélé trop éloigné de sa finalité. Comment percevoir l’utilité de ses actions quand on dessine pour un autre architecte ? « Je n’aime pas vraiment diriger mais j’aime décider », avoue l’intéressée, encore plus déterminée qu’il n’y paraît. On ne s’étonnera pas que l’architecte moitié corse moitié savoyarde convoque le fougueux Fernand Pouillon et la puissance de ses œuvres, construites en réponse à la violence des situations sociales de leur temps lorsqu’on l’interroge sur les démarches qui la touchent. Valentine a très vite choisi de travailler en assumant ses responsabilités, en lien direct avec ses maîtres d’ouvrage et les usagers des projets. C’est peu de dire qu’elle investit le rôle social de l’architecte, acteur de la collectivité, médiateur entre l’espace et ses habitants. Elle se dit bavarde, plus à l’aise dans l’échange et la réaction. Invitez-là à tenir une conférence, l’architecte refondra entièrement sa présentation juste avant d’intervenir, après avoir observé les spectateurs évoluer dans le foyer. Dotée d’une grande perspicacité et d’un savoir-être qui facilite les relations humaines, elle a fait de ses qualités d’écoute et de dialogue ses principaux outils. Sa démarche est empathique : elle enquête auprès des acteurs d’un projet (maîtres d’ouvrage et usagers mais aussi entreprises) pour évaluer ses marges de manœuvres, déceler les demandes non formulées et les failles propices à l’amélioration du quotidien. Car c’est aux petites choses de la vie qu’elle s’intéresse. Chacun habite à sa manière, mais il y a des « dénominateurs communs » (la lumière, l’intimité, l’espace libre et collectif, etc.) que l’architecte s’attache à mettre en œuvre. Sainte Rita est la patronne des impossibles, on l’invoque pour atteindre des objectifs ambitieux. Ceux de Valentine le sont : offrir des espaces dignes, comme une traduction de l’humanité qui réside en chacun. Aux migrants qui campent sous le métro La Chapelle à Paris, autant qu’aux élèves d’une école marseillaise serrés dans des préfabriqués. La quête d’une forme d’amabilité de l’espace précède toute velléité d’écriture. L’architecte ne nie pas que la recherche de dignité puisse investir le champ du symbolique, comme avec ces yourtes colorées, cœur du centre d’hébergement d’urgence conçu à Ivry-sur-Seine. « N’est-il plus possible de créer de la beauté pour tous ? », demandait Pouillon, très attaché à l’humanité de ses projets. Lorsqu’elle commande des photos de ses réalisations, Valentine aime qu’elles témoignent de la manière dont les gens prennent possession des lieux. Rares sont les architectes qui désirent montrer leurs projets habités.
Valentine Guichardaz-Versini (1985) est diplômée de l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille en 2008. Elle fonde l’atelier Rita à Paris en 2016. L’agence est lauréate du prix de la Première Œuvre 2017 pour le centre d’hébergement d’urgence à Ivry-sur-Seine.
La citation
« Offrir refuge en pensant l’usage et le confort est un préalable à toute velléité d’écriture. »
Le projet : Centre d’hébergement d’urgence
Que vit l’exilé qui n’a plus rien que son corps en prise directe avec la réalité ? « On pensait mourir en mer et finalement on est arrivé ici ». Comment lui rappeler que la vie vaut encore d’être vécue sinon en lui offrant l’hospitalité ? En dépit du peu que sont les 400 places d’hébergement au regard de besoins sans cesse croissants, l’hospitalité ici se traduit par des chambres confortables conçues sur un module en bois de 3 mètres de large par 6 de long ‒ ainsi adaptables en surface ‒, des sanitaires et des salles à manger aménagées dans des yourtes bien isolées. Un pôle médical, quatre salles de classe et des salles polyvalentes complètent le programme. Le village s’est monté en cinq mois à peine sur les bassins filtrants de l’ancienne usine des Eaux de Paris. Cette plateforme métallique de presque 5000 m2 sur pilotis génère un paysage étonnant, une petite cité divisée en six quartiers. Ses rues s’ouvrent sur une esplanade collective où les yourtes colorées sont le cœur de la chaleureuse communauté de vie souhaitée par Emmaüs Solidarité.
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Contact
Atelier Rita
2 cour de la Grâce-de-Dieu
75010 Paris
06 48 06 97 69
v.guichardaz@atelierrita.org
www.atelierrita.org
@atelierrita_architectes -
Fiche technique
Lieu : Ivry-sur-Seine (94)
Programme : centre d’hébergement d’urgence pour migrants et Roms pouvant accueillir 400 personnes, réfectoires associés, un pôle santé, un magasin, un pôle administratif, des classes intégrées et deux salles polyvalentes
Client : Emmaüs Solidarité
Équipe : Atelier Rita, projet en conception réalisation avec Brézillon entreprise (construction TCE)
Budget : 9 600 000 € HT
Surface : 5 000 m²
Livraison : mars 2017