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Mémoires d’outrages, expressions patrimoniales

Captation de la conférence prononcée le 15 février 2018

Borel Julien
(19..-....) Metteur en scène ou réalisateur
Mouton Benjamin
(1948-....) Commentateur

Dans le cortège des destructions, longue et banale cohorte des conflits armés, les destructions civiles, ciblées, délibérées, visent trois objectifs : Le premier est de déplacer le champ du conflit du terrain militaire au terrain civil ; Le deuxième est de « faire évènement » ; Le troisième est de provoquer une onde d’émotion, dont la portée donnera la mesure de l’efficacité de l’acte lui-même. Lorsque la cible est patrimoniale, alors s’ajoute une plus-value très efficace davantage morale que physique. Quelles réponses à ces atteintes, et pour qui ? Faut-il s’attacher à pérenniser la mémoire des évènements historiques, laisser la ruine en l’état, comme une plaie ouverte qui accuse le bourreau ? A Oradour-sur-Glane, la conservation des ruines dans le « meilleur état de destruction possible » fait mémorial ; mais elle montre ses limites, 70 ans après, devant un constat d’impuissance conservatoire et la perte de sens générationnel. Les champs de blé qui recouvrent Thérouanne, rasée par Charles Quint en 1553 n’en sont-ils pas la préfiguration ? Ne faut-il pas plutôt s’accrocher à la force de l’espace, où l’on entre et circule, à celle de l’architecture comme lieu de vie et d’émotions ? Varsovie, détruite en 1944, Gdansk ensuite, et Dubrovnik… la reconstruction à l’identique dans l’état d’avant le drame, plutôt que le reniement de la souffrance, ne signifie-t-elle pas dans une volonté énergique de survie, dans un sursaut de revanche, le rétablissement de la vie sociale, qui en renonçant à la blessure, méprise le bourreau ? Après la restauration de la cathédrale de Reims bombardée en 1914, celle de la Frauenkirche de Dresde, martyre écorchée du bombardement de février 1945 laissée à l’état de ruine jusqu’à sa reconstruction en 1994, quel sera l’avenir du dôme de Genbaku, mémorial squelettique du bombardement d’Hiroshima (août 1945) et inscrit au Patrimoine Mondial (1996) ? La mémoire, patrimoine immatériel, a besoin d’une expression matérielle, que ce soit par la théâtralisation, la reconstruction, l’évocation, ou, par un chef d’œuvre de l’art moderne, qu’il soit poésie, musique, ou peinture comme pour Guernica, rasée par la légion Condor le 26 avril 1937, chef d’œuvre de l’art moderne, la commémoration « par le haut » de la souffrance, bien au-delà des ruines et des frontières… Le sujet malheureusement ne quitte pas l’actualité, et après Bamyan, Tombouctou, Palmyre ou Alep… combien encore de crimes contre l’humanité inspireront un mémorial de refus, et selon quelle expression la plus forte ?